La compassion (suite)

Il faut s’appuyer sur karuṇā et la développer (sevitabbā bhāvitabbā). Selon le Vibhaṅga, il faut d’abord la destiner aux personnes misérables, isolées, malades, affligées de gros problèmes, sans accès aux soins et même aux personnes détestables que personne ne veut toucher.  Si nous ne trouvons pas une telle personne, nous pouvons la destiner à une personne bien née, heureuse et chanceuse mais qui a été condamnée pour une faute terrible. Autrefois ces personnes étaient d’abord exposées aux quatre coins de la ville avant d’être exécutées publiquement. Des personnes bonnes leur offraient parfois de la nourriture par pitié.

Il n’y a qu’une seule façon de développer karuṇā, à l’inverse de mettā : « sabbe sattā dukkhā muccantu ». Si nous destinons karuṇā à une personne spécifique, il faut la nommer. Avant de ressentir la compassion, il faut visualiser la personne et se figurer les maux dont elle souffre en ce moment précis (maltraitance, maladie grave, difficultés financières, climat, mécontentement). Pour que ce soit effectif, il est nécessaire de nourrir un véritable sentiment de compassion. Même si elle ne souffre pas en ce moment précis, tôt ou tard, elle souffrira de vaṭṭadukkha, la souffrance inhérente à la ronde des renaissances.

Il faut prendre garde aux ennemis de karuṇā, proche et lointain. L’ennemi lointain prend la forme d’animosité, de pensées de revanche ou de contre-attaque. Si nous entendons par exemple une grenouille émettre un son pitoyable alors qu’elle est attrapée par un serpent, nous ressentirons de la pitié pour elle. À cette pitié pourrait succéder la colère et le désir de s’attaquer au serpent (vihiṃsa).

Il est important aussi de traduire la compassion en actes et en paroles (kāyavacīkamma). Mais la seule pensée compatissante (manokamma), comme par exemple dans le cas de chèvres, volailles, canards ou cochons emmenés à l’abattoir, amène aussi des mérites. Si nous disposons de pāramī spéciaux, nous pouvons parvenir à karuṇā jhāna.

Un mettā universel est plus facile à développer car tout le monde souhaite être heureux. Mais karuṇā est plus difficile à développer, par exemple à l’égard de personnes joyeuses. Nous récitons tous les soirs karuṇā à l’intention des êtres souffrant dans les enfers pendant des millions d’années, des peta et des animaux qui sont dans une situation misérable, des êtres humains dont certains subissent des mauvais traitements, des maladies, la pauvreté, les conflits, la dépression, le deuil, la perte de leurs biens, l’échec, la séparation, des êtres célestes aussi dont certains sont affligés de désirs insatiables et sont désespérés la veille de leur mort. Nous dirigeons karuṇā d’abord vers cinq catégories universelles (anodisa karuṇā) et ensuite vers sept groupes spécifiques (odisa karuṇā) : les femmes, les hommes, etc. Il y a donc douze catégories au total à ajouter aux 10 x 12 mêmes catégories pour une direction spécifique, ce qui fait un total de 132. Chacun s’aime soi-même plus que tout autre, mais tout le monde rencontre dukkha. Si nous nous aimons réellement, il faut pratiquer vipassanā, le seul moyen de se libérer de la souffrance.

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