L’enseignement du Buddha en pratique selon Mahasi Sayadaw

L’enseignement du Buddha comprend trois parties: la moralité (sīla), la concentration (samādhi) et la sagesse (paññā). Sīla, c’est le contrôle du corps et de la parole dans l’objectif de ne pas nuire aux autres. On adopte ainsi des règles de conduite. Le minimum nécessaire pour pratiquer la méditation, c’est l’observance des cinq préceptes: ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre l’adultère, ne pas prononcer de paroles impropres (pas seulement le mensonge) et ne pas prendre de drogues ou d’intoxicants.. Dans le contexte d’une retraite, même si cinq préceptes suffisent comme fondement pour le développement de la concentration et de la connaissance, il vaut mieux en prendre huit ou neuf. Le troisième précepte est renforcé: on s’abstient de toute activité sexuelle. On ajoute trois préceptes: ne pas prendre de nourriture solide après midi; ne pas s’embellir, se parfumer (mais on peut bien sûr se laver) ou s’adonner à des loisirs ou des distractions (musique, spectacles, etc.); ne pas user de lits ou de sièges hauts et luxueux, alors qu’on aime parfois passer du temps dans un lit douillet et confortable avec un compagnon. À Dhammaramsi, les yogis observent aussi le neuvième précepte: maintenir un esprit bienveillant envers tous. Que l’on observe huit, neuf ou dix préceptes (comme les nonnes) n’est pas important. Ce qu’il faut, c’est de les observer entièrement. On récite ces préceptes tous les jours afin de se les remémorer. Leur observation quotidienne est bénéfique et peut même procurer du bien-être, mais ils ne constituent jamais que le fondement de la pratique, et la concentration et la sagesse restent nécessaires.

Contrôler le corps et la parole en effet ne signifie pas contrôler l’esprit. La tendance à nuire aux autres, à s’emparer de leurs biens ou à se méconduire sexuellement peuvent subsister dans l’esprit et une situation où l’on sera amené à rompre les préceptes peut toujours se présenter quand les pollutions mentales nous envahissent, le désir ou la colère nous brûlent ou la confusion est telle qu’on ne sait plus où se situent le bien et le mal. La concentration stabilise l’esprit et empêche les états d’esprit malsains de se manifester. Une fois que la concentration faiblit toutefois, ceux-ci peuvent à nouveau envahir l’esprit et c’est pourquoi la sagesse est nécessaire.

La concentration constitue le fondement pour le développement de la sagesse. La sagesse permet de déraciner les tendances mauvaises de façon provisoire d’abord (avant l’atteinte du chemin et du fruit) puis définitive.

Pour présenter la pratique de vipassanā, je vais me baser sur un discours de 15 minutes prononcé à la radio par Mahasi Sayadaw à la demande du gouvernement birman. Il lui avait été demandé de donner un enseignement accessible à tous. Il y encourage les laïcs, quelle que soit leur occupation, à pratiquer une heure par jour. Ce discours étant très court, Mahasi Sayadaw le base sur trois mots pali seulement qui synthétisent tout l’enseignement du Buddha: sato sampajāno vihareyya (un bhikkhu devrait disposer en toutes circonstances de l’attention et de la claire compréhension). Le Buddha décrit ce conseil comme son instruction répétée aux bhikkhus, pour leur propre bien. Ces mots recouvrent en réalité un grand nombre de significations. En maintenant à tout moment ces qualités en nous, nous serons bien établis dans la vérité et nous compterons parmi les quatre personnes saintes du bouddhisme: sotāpanna, sakadāgāmi, anāgāmi et arhat, ce qui nous permettra d’échapper aux renaissances dans les plans de misère (apāya). Même si on ne croit pas aux renaissances, ces qualités peuvent rendre cette vie-ci très belle.

L’attention et la claire compréhension peuvent se porter sur six types d’objets: visions, sons, odeurs, goûts, sensations tactiles et pensées. Chaque fois que nous ne sommes pas conscients de ces objets, nous développons une perception erronée par rapport à eux, les voyant comme permanents, plaisants et dotés d’un soi. Cette perception erronée va générer des pollutions mentales (kilesa) qui, à leur tour, vont amener des actes (kamma) qui vont prolonger le saṃsāra. Si l’attention est répétée d’instant en instant, elle ne laissera pas l’opportunité aux kilesa d’apparaître dans l’esprit. Chaque fois que la vision se manifeste à la porte de l’œil, noter « voir, voir ». Chaque fois que les son, odeurs, saveurs, sensations tactiles ou pensées se manifestent à leurs portes respectives, noter « entendre, sentir, goûter, toucher ou penser ». La sensation tactile se manifeste à la porte du corps, partout où se trouve de la chair sensible à la surface ou à l’intérieur du corps. Il en existe une grande variété car le corps est très grand. Ses sensations se produisent à chaque fois que l’on se penche, qu’on étend ou replie un membre, qu’on se lève ou se couche, que l’abdomen se soulève ou s’abaisse, etc. Chacune de ces sensations devrait être notée. Les pensées quant à elles apparaissent à la porte de l’esprit, c’est-à-dire dans le subconscient (bhavaṅga). Chaque fois que des projets, des imaginations ou d’autres formes de pensées se manifestent, il faut les noter au moment précis où elles apparaissent. Cette pratique s’appelle cittānupassanā.

Ceci, c’est la méthode de base qui permet de développer les stades de connaissance de la vision pénétrante (vipassanā), depuis la distinction entre l’esprit et la matière jusqu’à l’atteinte de nibbāna. Au début, la concentration n’est pas forte. Il faut se concentrer sur les objets les plus évidents et éviter les objets subtils. Il faut privilégier les objets physiques, plus faciles à noter, sur les objets mentaux. Il faut éviter aussi de rechercher ce qu’on appelle matière dépendante (upādārūpa), comme les portes des sens ou les objets externes trop difficiles à noter, et se concentrer plutôt sur les quatre éléments (terre, air, eau, température) qui composent la matière. Il ne faut pas les rechercher délibérément, ils vont probablement apparaître spontanément en premier lieu.

Au cours de la retraite, on alterne méditation assise et en marche et on reste attentif tout au long de la journée, du lever au coucher. Dans son discours, Mahasi Sayadaw conseille de pratiquer une heure de méditation assise après ses tâches domestiques. Il faut se motiver en se rappelant que vipassanā peut mener à la libération du cycle des renaissances. Il conseille ensuite de noter « assis, assis », c’est-à-dire de se rendre pleinement conscient de sa posture, jambes repliées et dos droit. Quand la concentration devient plus forte, le yogi expérimente la réalité ultime (paramattha): tension, rigidité, etc. L’objet « assis » se répète d’instant en instant car l’intention de rester assis se répète aussi et le yogi continue de noter « assis ». Si cela devient trop fastidieux toutefois, il peut noter en alternance « assis, toucher », en observant l’endroit où les mains se touchent, le point de contact avec le sol ou tout autre endroit où le toucher se manifeste clairement. Le yogi doit s’assurer être pleinement conscient de la sensation de toucher. Si cela aussi devient trop ennuyeux, il peut observer le mouvement de l’abdomen et noter « lever, baisser », chaque fois que l’abdomen se soulève et s’abaisse. C’est l’instruction qui est donnée dans tous les centres Mahasi. Si le mouvement ne lui apparait pas clairement, le yogi peut placer une main sur l’abdomen. Il observe le mouvement comme s’il le voyait avec ses yeux.

Si l’esprit se met à vagabonder, prend la direction du travail ou de la ville par exemple, en prendre conscience et noter « penser », puis revenir à l’abdomen. Ainsi pratique-t-on cittānupassanā. Après un certain temps, des ressentis déplaisants peuvent se manifester comme des douleurs, des démangeaisons, des raideurs, … Quand l’attention est forte, ils se dissiperont alors même qu’on les note. Noter ces ressentis agréables ou désagréables, c’est vedanānupassanā. Si la douleur devient insupportable et que le désir de bouger apparaît, noter d’abord cet état d’esprit et ensuite observer chaque petit mouvement dans le détail, en bougeant très doucement. À la fin de l’heure, noter l’intention de se lever avant de se lever puis observer tout le processus du passage à la station debout dans le détail. Pendant la marche, ralentir l’allure et placer l’attention sur le pied. Noter « droite, gauche » ou « lever, baisser ». Suivre le mouvement du pied depuis le moment où il quitte le sol jusqu’au moment où il se pose à nouveau. Noter aussi les activités générales comme étendre ou replier le bras.

Mahasi Sayadaw déclarait que si le méditant pratiquait ainsi quotidiennement pendant une heure, sa concentration s’améliorerait de jour en jour jusqu’à l’atteinte de la libération. J’espère que cette perspective vous réjouit.

Page précédente