Les objets de vipassanā

Tout objet évident qui apparaît dans l’instant présent devient objet de vipassanā. Mais il faut que cet objet relève de la réalité ultime. La réalité apparente, ce sont les concepts (paññatti). Nous donnons le nom d’homme ou de femme à ce qui est en réalité une combinaison d’esprit et de matière, ou de cinq agrégats. Ce concept n’existe qu’en imagination et n’a pas d’essence propre, même s’il existe dans l’esprit des gens et est utile dans la vie quotidienne. Le yogi extrait la réalité ultime de la réalité apparente ou conventionnelle. Il note soulèvement, abaissement, assis, toucher, mais il ne voit pas de fesses, seulement la dureté, la chaleur, l’esprit qui sait, etc. Les concepts n’ont pas la nature de l’impermanence, de la souffrance et du non-soi et n’incitent donc pas à chercher à échapper à la souffrance.

Les objets des quatre réalités ultimes : consciences, facteurs mentaux, matérialités et nibbanā, sont observés par le yogi. S’il a déjà atteint le premier stade d’illumination, il peut prendre l’inconditionné pour objet, mais cela ne lui permettra pas d’éliminer des pollutions mentales (kilesā) car celles-ci n’accompagnent pas les consciences supramondaines. De la même façon, il ne pourra prendre pour objet des consciences jhaniques que s’il a déjà fait l’expérience des jhāna. D’une façon générale, il est important de ne pas chercher à voir des objets subtils au début, car nous ne verrons alors pas clairement leurs caractéristiques, fonctions et manifestations et ne verrons pas non plus leur nature impermanente, douloureuse et impersonnelle. Il faut donc commencer par les objets évidents, prédominants et faciles à observer.

Il faut distinguer vipassanā direct (où l’on applique directement l’esprit à l’objet) et par inférence (où l’on déduit que les autres objets ont aussi la nature des trois caractéristiques). Ainsi, les objets internes (ajjhatta) peuvent être expérimentés réellement dans notre corps et esprit alors que les objets externes, par exemple les états d’esprit d’une autre personne, peuvent être devinés par inférence mais sans grande certitude. Il faudrait privilégier les objets internes et ne noter les objets externes qui empiètent sur l’attention, comme un son bruyant.

Il en va de même des objets présents qui sont évidents et des objets passés ou futurs dont on ne pourra comprendre par inférence la nature impermanente, insatisfaisante et impersonnelle qu’après avoir observé les phénomènes présents. Ce type de compréhension vient spontanément. Ce n’est qu’en observant l’objet présent que nous pouvons en arriver au point où nous perdons notre engouement pour ces phénomènes dont les apparitions et disparitions constantes nous oppressent et sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. Les yogis qui suivent une guidance ne doivent pas s’inquiéter de l’objet et doivent suivre les instructions. Ceux qui méditent seuls doivent prendre garde à ne pas observer un concept. L’objet qui apparaît est tantôt la respiration, tantôt l’abdomen, tantôt une pensée, une émotion ou une sensation corporelle. Si nous restons attentifs à l’objet présent, l’esprit n’ira pas dans le passé ou le futur.

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