Les pensées déterminent nos vies

Parfois, lorsque nous comparons notre vie à celle des autres, nous voulons changer de vie. Ainsi, le neveu de Saṅgharakkhita rêvait de quitter la robe alors qu’il éventait son oncle. Il pensa ensuite qu’il n’aurait pas assez d’argent, mais qu’il pourrait vendre une chèvre, puis se trouver une femme, avoir des enfants, puis il pensa qu’il pourrait rendre visite à son oncle, mais qu’en chemin peut-être sa femme laisserait tomber l’enfant qui serait écrasé sous la roue du chariot. Il imagina ensuite frapper sa femme avec l’aiguillon. En réalité il frappa malencontreusement la tête de son oncle qui, étant arhat, comprit ses pensées et plaisanta sur sa femme imaginaire.

Autrefois, Kuddālapaṇḍita, qui vivait chichement en cultivant des légumes pensa se faire ascète. Mais après quelques mois, il se souvînt de la bèche qu’il avait laissée et quitta la robe. Puis il renonça à nouveau. Mais chaque fois, à l’approche de la saison des pluies, le désir de faire pousser des légumes reprenait. Six fois il cacha sa bèche pour la déterrer ensuite. À la septième fois cependant, il se résolut à se défaire de l’attachement à sa bèche qu’il lança au loin dans la rivière en fermant les yeux pour être sûr de ne jamais chercher à la récupérer, s’écriant ensuite «jināmi!», j’ai vaincu.

Parfois, nous ne sommes pas satisfaits de notre vie présente. L’herbe semble toujours plus verte ailleurs. Les cours à ITBMU ne correspondent pas toujours à nos besoins, mais nous avons cette chance unique d’apprendre le Dhamma. Dans les deux récits que nous venons de voir, qu’est-ce qui amène chaque fois les protagonistes à changer de vie? C’est la pensée d’une vie meilleure. La pensée est très importante. Sans elle, on ne changerait pas de vie. En pāḷi, c’est vitakka. Vitakka nous amène à accomplir un très grand nombre de bonnes et de mauvaises actions.

Dans le sakkapañha sutta, on lit la phrase « chando kho, devānaminda, vitakkanidāno », chanda, ô roi des devas, trouve son origine dans la pensée. Ici chanda doit se traduire par « attachement ». Le désir fait surface dans notre conscience, les pensées créent le désir. Si nous pouvons contrôler nos pensées, nous pouvons changer nos vies. Les pensées mènent notre vie. Si nous pensons que c’est une bonne chose, nous le faisons, si nous pensons que c’est une mauvaise chose, nous ne le faisons pas. Pourquoi le désir apparaît-il dans notre vie? C’est en raison de la pensée. Nous avons de nombreux souhaits. Au plus on pense, au plus on aura des désirs.

On parle dans les écritures des agrégats d’attachement (upādānakkhandha). Ceux-ci sont l’objet de la méditation de la vision pénétrante (vipassanā). Les pensées ou les consciences sont l’objet de taṇhā et de diṭṭhi, le désir avide et les vues fausses. On s’attache aux objets de  ces deux façons, par le désir et par les vues fausses. Il s’agit de consciences mondaines (lokiya). Il y en a 81 selon l’Abhidhamma. Les huit consciences supramondaines (lokuttara) ne sont pas l’objet de taṇhā et de diṭṭhi, elles ne peuvent être contemplées comme impermanentes, insatisfaisantes et impersonnelles (anicca, dukkha, anatta), et ne sont donc pas l’objet de vipassanā.

Le vitakkasaṇṭhāna sutta énonce au sujet de celui qui est parvenu à contrôler son esprit: « yaṃ vitakkaṃ ākaṅkhissati taṃ vitakkaṃ vitakkessati » Il pensera ce qu’il souhaite penser. De cette façon, il pourra contrôler sa vie. Certains moines ont un désir puissant d’atteindre l’état d’arhat. Ils veulent mettre un terme à cette vie. Ce type de conscience, c’est adhicitta, la conscience supérieure. D’autres moines s’efforcent d’y parvenir, mais vitakka les perturbe. Pour eux, le Bouddha a énoncé ce sutta.

Ce sont les pensées qui nous rendent heureux ou malheureux. Lors de la seconde guerre mondiale, un soldat allié raconte que lorsqu’une torpille a percuté son sous-marin, les choses qui autrefois lui semblaient les pires souffrances que l’on puisse endurer, comme la séparation de sa femme ou la perte de son emploi, ne représentaient plus rien par rapport au malheur d’être dans un sous-marin. Pour ma part, quand en l’an 2000 je souffrais d’une rage de dent, je pensais qu’il n’y avait aucune souffrance qui égalait celle-là. Mais lorsque j’ai eu des problèmes aux yeux, j’y pensais chaque matin alors que je vérifiais si ma vue avait baissé comme le plus gros problème imaginable.

Quoique nous souhaitions penser, nous le penserons. De cette façon, nous éliminerons les pollutions mentales. Le Dhammapada énonce : « cittaṃ dantaṃ sukhāvahaṃ », l’esprit dompté amène le bonheur. De nos jours les gens pensent qu’il faut pouvoir penser librement, que chercher à contrôler les pensées amènera des problèmes, surtout du point de vue de la psychologie. Moi aussi je pensais comme cela, mais ce n’est pas juste. Parfois nous nourrissons de l’inquiétude au cours de nuits sans sommeil. Si nous laissons libre cours aux pensées, elles ne s’arrêteront jamais. Certaines pensées sont très néfastes pour notre vie, notre sérénité et notre pratique du Dhamma. La pensée est le facteur clé pour changer nos vies. Ainsi, je pensais que l’eau dans une tasse était meilleure que l’eau en bouteille. Cela m’a amené à prendre l’eau dans une tasse. Ce que nous pensons, nous le faisons. Dès que nous avons pris une décision, nous la mettons à exécution. La pensée change notre vie, mais aussi nos conceptions.

Certaines vues fausses sont très néfastes : natthikadiṭṭhi (l’absence de vie après la mort et de conséquences des bonnes ou mauvaises actions), akiriyadiṭṭhi (l’idée que les actions ne deviennent pas bonnes ou mauvaises et n’engrangent pas de bons ou mauvais résultats) ou encore ahetukadiṭṭhi (l’idée que le bonheur ou le malheur apparaissent sans cause). Ainsi, dāna ou sīla n’ont pas de résultats selon eux. Les tenants de ces vues renaîtront à coup sûr dans les états de perdition. Certaines personnes sont incapables d’éliminer les vues fausses, elles sont devenues permanentes, quel que soit le nombre de Buddha qui chercheraient à corriger leurs vues. Ces vues, en les ressassant encore et encore, sont devenues une forme d’absorption (jhāna) pour eux. Ils ont décidé (adhimokkha) que cette vue fausse était juste. La décision est aussi liée à la pensée.

En conclusion, le point clé de ce Dhamma Talk, c’est d’abord qu’il faut apprécier notre vie présente. Même l’ennui peut être profitable s’il est lié à l’apprentissage du Dhamma. Parfois on pense qu’une autre vie serait meilleure, le moine pense que la vie du laïc est meilleure et vice versa. Le second point clé, c’est que la pensée est très importante lorsque nous méditons, mais aussi dans la vie quotidienne. Le Buddha a expliqué en détail dans le sakkapañha et le vitakkasaṇṭhāna sutta comment la pensée fonctionnait dans notre vie de tous les jours. Comment réagissons-nous lorsque la joie ou le mécontentement se manifestent dans notre vie ? En fonction de cela, nous serons heureux ou malheureux. Nous pouvons ignorer la pensée et passer à une autre pensée, réciter un sutta, méditer sur les inconvénients de cette pensée. En réalité notre vie est très bonne mais cela ne nous empêche pas d’être parfois malheureux. Par exemple parce qu’il n’y a pas d’air conditionné ou bien parce qu’il n’y a pas de calme. Il s’agit de pensées. La façon de gérer les pensées est très importante pour le Dhamma.

Page précédente