Note rapprochée et vision pénétrante

Les yogis sont habitués à noter « entendre ». Certains yogis toutefois ne sont pas conscients de l’audition quand un son apparaît, car ils sont concentrés sur l’abdomen. L’objet primaire est en effet très important. Si on peut le noter de façon ferme, l’esprit est stabilisé. On dit que l’abdomen est facile à observer mais, en réalité, ce n’est possible qu’à condition d’être très précautionneux à chaque respiration.

Jusqu’à quel point la note doit-elle être rapprochée de l’objet? Si on peut voir le début et la fin du soulèvement et de l’abaissement de l’abdomen, on est bien dedans. Si on perd le fil toutefois, on ne suit plus le mouvement, on perd l’attention et l’esprit va de-ci de-là. Quand on note avec diligence, l’attention se renforce. À ce moment-là, même si on ne prête pas attention aux organes des sens, les objets visuels, auditifs, olfactifs, gustatifs ou tactiles apparaîtront clairement dans l’esprit et on les notera directement. On comprendra aussi automatiquement l’esprit et la matière. C’est d’ailleurs le but de vipassanā: développer la connaissance. Il ne faut pas chercher quoi que ce soit, seulement être conscient de l’objet et en prendre soin. Lorsqu’il va, le yogi doit seulement savoir « je vais » (gacchanto va gacchāmi ti pajanāti).

Le Buddha a utilisé les mots ātāpa (il faut fournir un effort), sampajāna (claire compréhension) et satimā (attention continue). Il faut que l’énergie physique et mentale soient fortes. Il faut aussi la volonté de faire l’exercice (chanda). Lorsqu’il entend un son, il voit: « Oh, ce son n’est pas solide, il est discontinu. » Au plus rapprochée sa note, au plus il comprend. Cela, c’est sam+pa+jāna. Sam a trois sens: ❶ soi-même ❷ clairement ❸ pleinement. Pa signifie « de différentes façons ». Jāna signifie « savoir ». Un yogi comprendra tout objet qu’il note, de différentes façons. Il comprend que la conscience auditive et la note mentale relèvent de nāma et que l’œil et l’objet visuel relèvent de rūpa. Le premier mot arrive à son oreille, disparaît, et puis apparaît le second, qui disparaît à son tour, et ainsi de suite. Parfois, il entend des sons mais, alors qu’il les note, ils s’affaiblissent et semblent de plus en plus éloignés et ténus. Parfois, à l’inverse, il entend des sons très fins comme s’ils étaient forts. C’est sampajāna. Afin d’y parvenir, il faut noter de façon incessante.

Une fois que l’on comprend anicca, l’impermanence, on comprend aussi dukkha, la souffrance, car il est éprouvant de devoir noter inlassablement chaque objet qui apparaît. saṅkhittena pañcupādānakkhandhā dukkhā a déclaré le Buddha (en bref, les cinq agrégats sujets à l’attachement sont souffrance). Cette compréhension n’est pas possible sans l’attention. La compréhension de dukkha et d’anatta, le non-soi, viendra dans le sillage de celle d’anicca.

Cela fait longtemps que vous êtes en retraite et vous savez combien ce travail est difficile. C’est le job le plus difficile qui soit. Il y a beaucoup d’obstacles. Cet effort vous fera transpirer mais, comme vous êtes dans un pays froid, il vous tiendra chaud. Une fois que vous comprenez les objets tels qu’ils sont réellement, il n’y a plus de fatigue, plus de douleurs, vous êtes dans le confort et heureux dans la pratique. Vous ne voulez plus rentrer à la maison. Mais sans un effort diligent, il n’y aura rien de neuf.

Comment contrôler les sens? Il ne faut pas laisser l’esprit aller vers le monde des plaisirs sensuels, le cantonner à la seule pratique. Il y a des douleurs, des engourdissements, de la souffrance mais, une fois débarrassés des pollutions mentales, l’avidité, la colère et l’ignorance, l’esprit est à l’aise et léger. On comprend l’esprit et la matière, les causes et les effets, la nature d’apparition et de disparition des phénomènes. Vous ne devriez pas manquer cette chance d’atteindre la libération.

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