Quatre Nobles Vérités : comment observer dukkha

Dukkhe patiṭṭhito loko, dukkhe ṭhapito loko Cela signifie que la vie est fondée sur la souffrance. La souffrance est intrinsèque à la vie et n’est pas extérieure à nous. Il faut investiguer la vie pour voir en quoi elle consiste vraiment. Notre « moi » se réduit finalement à cinq agrégats : ① la matière et ses qualités de lourdeur, légèreté, mouvement, etc. Comme le scientifique qui examine les tissus et voit les cellules, les atomes et finalement les particules, le Buddha est parvenu à la plus petite unité indivisible : les kalāpa, plus petits que les atomes, qui contiennent les quatre éléments ② les ressentis, grossiers ou subtils ③ la reconnaissance de ces ressentis ou perception ④ la réaction d’attirance ou de répulsion qui nous pousse à agir ⑤ les consciences.

On commence par observer l’inspir et l’expir, mais peu à peu, nous prenons conscience de tout ce qui apparaît dans le corps et l’esprit. Après quelques jours, les sensations grossières font place aux subtiles : vibrations, picotements, lourdeur, légèreté, etc. Elles changent en réalité à chaque contact. Je vois quelque chose qui me rend heureux puis entend quelque chose qui me rend malheureux. Le corps est comme un torrent de montagne dont le flux ne cesse jamais. C’est la triple hallucination des pensées, perceptions et vues qui nous empêche de voir, comme une corde qu’on prend pour un serpent la nuit.

❶ ñāta pariñña : être conscients des phénomènes d’instant en instant, précisément et automatiquement.

❷ tīrana pariñña : comprendre qu’il n’y a pas de solidité, comme réaliser que la chaleur d’un feu qui touche le corps est un processus, des instants consécutifs.

❸ pahāna pariñña. Chaque phénomène apparaît et disparaît tout de suite. Il n’est plus possible de fantasmer l’idée d’un « moi qui ».

Il y a trois types de dukkha : ① dukkha dukkha (souffrance universelle endurée par tous : naissance, vieillesse, maladie, séparation des êtres chers, association à ce que l’on n’aime pas, ne pas obtenir ce que l’on souhaite, tristesse, chagrin, lamentation, douleur physique. ② vipariṇāma dukkha (ce qui est plaisant, heureux, sain devient déplaisant, malheureux, malsain. Nos renaissances sont tantôt heureuses, malheureuses ou moyennes) ③ saṅkhāra dukkha (tout est conditionné et nous ne pouvons échapper à une situation. En raison de l’œil et de l’objet visible apparaît la vision. Nous voulons être heureux mais si quelqu’un nous insulte nous sommes malheureux. Nos souvenirs aussi sont conditionnés. Nous sommes liés et ne pouvons vivre isolés. Même les états de conscience élevés sont conditionnés. Toutes les formes de bonheur (familial, érémitique, attachement, détachement) sont incluses dans dukkha.

De la compréhension de l’impermanence découle celle de la souffrance et du non-soi. Le penseur et la pensée sont une seule et même chose car l’un ne peut exister sans l’autre. Un prêtre catholique demanda autrefois à un moine chinois qui il priait. Celui-ci répondit « personne ». Si nous voyons « quelqu’un », nous ne voyons pas la réalité. Le Buddha ne répondait rien quand on lui demandait où allait l’arhat après sa mort.

Le bouddhisme se comprend à deux niveaux : au niveau du kamma, les laïcs pratiquent la générosité pour s’assurer une meilleure vie, mais au niveau des quatre nobles vérités, il n’y a pas de soi. Comment concilier les récits des 555 vies antérieures du Buddha avec l’absence d’ego ? La personne qui reprend naissance n’est ni la même, ni différente, comme pour la graine et le fruit ils ne peuvent toutefois exister l’un sans l’autre. Nous sommes les architectes de nos vies.

Un jeune homme vivait avec un maître chinois pour comprendre la nature du soi. Il demanda l’autorisation d’aller sur la montagne pour trouver la réponse. Voyant un vieil homme en redescendre, il lui demanda ce qu’était l’ego. Sans rien dire, le vieil homme posa son fardeau avant de le reprendre et de s’éloigner vers le village. Cela signifie qu’il n’y a pas de soi mais qu’on se charge de tout un bagage. Il faut continuer à porter ce fardeau car on vit en société.

La vision chrétienne traditionnelle veut qu’il y ait un Dieu créateur bien distinct de ses créatures. Mais selon maître Eckart, qui a été fort critiqué, la création de Dieu a lieu à chaque instant. Par ailleurs, le mot d’origine grecque kénose signifie que Dieu se vide lui-même pour créer l’univers. Cela fait penser à la nature vide de l’univers du mahāyāna (suññatā) qui est à la fois tout mais rien en particulier. Dans le christianisme aussi, Dieu doit être découvert en nous, comme la Trinité qui est en réalité Une. Dans le mahāyāna, la nature de Buddha n’est pas différente de la nôtre, seul le stade est différent. Le Buddha a déclaré que ce corps contenait les quatre nobles vérités. Il y a kamma, ressenti et nibbāna, mais personne qui agit, ressent ou se rend au nibbāna. Tout ce ceci est très philosophique. Même les bouddhistes ne comprennent pas tous, car ils pensent que nibbāna est extérieur à eux.

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